Pedagogie Eclosive

11 mars 2006

Non-directivité et pédagogie éclosive®, est-ce chou vert et vert chou ?

Devant le déferlement de mots tels que « non-directivité », « coach », « team - building », « sens », il semble souhaitable d’être sûr de soi devant les interlocuteurs et de posséder les informations nécessaires sur le contenu de chaque mot lorsque, utilisé par des personnes différentes, il fait penser à autant de fûts identiques qui peuvent cacher autant de contenus fort différents. Ils sont alors sources de malentendus et de déceptions.

Non-directivité et pédagogie éclosive®, est-ce chou vert et vert chou ?

Suffirait-il, comme sans doute beaucoup le pensent, de ne pas être directif pour être non-directif ?
S’abstenir de donner des ordres ou souscrire à une méthode active permet-il de s’octroyer la distinction de « nondirectif» ?
Pour bien comprendre la pensée nondirective, je vous propose de revenir un instant aux sources. Carl Rogers était apparemment un homme de « sens » : né d’une famille chrétienne (son père était pasteur), il fréquenta les mouvements de jeunesse, géra des conflits entre jeunes et entre confessions religieuses.
Formé ensuite pour l’enseignement, il travailla avec des enfants dans un centre médico-pédagogique, s’intéressa à la psychologie clinique, fut ensuite directeur d’un centre médicopédagogique, approfondit ses pratiques de psychothérapie, … et par ses travaux dans ces milieux, il mit au point une pratique non-directive.

La non-directivité n’a donc pas trouvé son berceau d’accueil dans les entreprises, ni même dans l’enseignement mais bien dans les milieux thérapeutiques où l’objectif essentiel n’est pas de promouvoir des actions mais des relations avec soi-même et avec les autres.
Pour Carl Rogers, le moteur de développement des personnes ne se trouve pas inscrit dans un contenu scientifique mais dans la pratique, pas davantage dans un mode opératoire rigide mais bien dans la personne elle-même : d’où son nom de thérapie « non-directive » ou plus positivement de « client-centered », centrée sur le client.
Dans la préface de « Liberté pour apprendre » que Carl Rogers publia en 1984, Daniel Lebon écrivait : « De maître à penser, l’enseignant devient facilitateur d’apprentissage ».

Comme l’homme est au centre de son activité, et que son développement touche fort à l’enseignement et à la vie des groupes, Carl Rogers n’y fut pas insensible.
En 1966, il écrivit son livre « Enseigner et apprendre ».
Dès ce moment, son orientation centrée sur le client fut relayée en Europe. Les principaux pionniers de la francophonie furent : André de Peretti, Max Pagès, Daniel Lebon… et d’autres sans aucun doute, que je n’ai pas connus personnellement.

Les contradicteurs de l’« enseignement non-directif » allumèrent des années durant, des brasiers de discussions dès le début des années 1970.
Quelques braseros sont encore actifs.
Les principaux griefs furent sans doute :
  • la perte du pouvoir des enseignants au profit d’une attitude trouvée passive, assimilée à du « laisser-faire ».
    Il s’agit là sans doute d’une mauvaise interprétation de l’attitude de l’enseignant dont la nonintervention ne préjuge aucunement de sa non-directivité.
  • la limite attribuée à cette pédagogie, de se focaliser sur le relationnel, sur l’émotionnel d’où sa prétendue incapacité à prendre en charge des contenus.
Globalement, ces controverses furent sans doute utiles à l’approfondissement de la réflexion sur le sujet.

Toutefois, elles ont également permis l’éclosion d’une génération de formateurs inexpérimentés.

Ils trouvaient dans la discorde des spécialistes, matière à justifier des déviances et surtout à les dispenser à leurs yeux, de tout développement et entraînement sur eux-mêmes.

Ils se sont ainsi privés de l’expérience irremplaçable qui consiste à vivre comme « client » et à développer prioritairement leur relation… avec eux-mêmes !

En conséquence, leurs improvisations manipulatrices inconscientes furent souvent aussi dangereuses que déconcertantes et parfois même désastreuses.

Un changement aussi profond d’attitude personnelle tant pour les thérapeutes que pour les enseignants et les animateurs de groupe, ne se réalise pas par simple compréhension intellectuelle des manifestations de cette attitude alors qu’elles peuvent se résumer comme suit :
  • Accueil et non pas initiative
  • Centré prioritairement sur le vécu plutôt que sur les faits
  • S’intéresser à la personne plutôt qu’au problème
  • Respecter la personne, la faire briller plutôt que de rechercher à briller soi-même
  • Faciliter la communication plutôt que de chercher (ou faire) des révélations.
Apparemment simple, cette attitude non-directive ! Pourtant, en plus de 40 ans de pratique, je n’ai rien trouvé de plus difficile à transmettre avec le résultat souhaité.
De plus, le temps qui passe (parfois plusieurs années) avant que l’enseignant, l’animateur ait eu l’occasion de se confirmer qu’il a été beaucoup plus utile en étant non-directif fait revenir ses vieilles habitudes au galop !

L’attitude du « facilitateur nondirectif », c’est - à - dire centré sur le client, permet au participant de se libérer des angoisses que vit souvent « l’élève » par crainte des jugements que pourraient se faire de lui, « profs » et « condisciples ».

Ainsi libéré, le participant s’ouvre aux découvertes et au partage, son désir d’apprendre et d’expérimenter est éveillé, son initiative activée, l’appropriation réalisée.
La rémanence des résultats est généralement encore observable 10 ans plus tard.

La pédagogie éclosive ® se sert richement de ces résultats pour obtenir que le contenu technique de l’enseignement soit souhaité par le « client », comme un besoin, une curiosité à satisfaire.

La pièce porteuse de l’attelage de l’orientation non-directive à l’apprentissage d’un contenu est, sans conteste, le « S-E-S » (support évocateur de situations).
Sorte de roman, le S-E-S fait se dérouler une suite de situations courantes liées les unes aux autres sans rupture de l’action et dans une complexité croissante.

L’appel à la compétence individuelle est permanente. Par ces mises en situations pratiques, le S-E-S sert ainsi de catalyseur grâce aux possibilités offertes d’identification, de projection, d’analyse et de prise de décision. Si des outils de facilitation sont offerts comme aide à la résolution des problèmes, l’enseignant ou l’animateur s’interdit encore de briser l’initiative de chacun de ses participants.
Supposons cet attelage réussi sans aucune intervention de type « maître qui sait à élève ignorant » : il conviendra de concilier les appétits individuels. Comment faire mieux que d’offrir à chacun de partager ses découvertes, sans contraintes ni critiques, avec celles des autres participants ? Cela permet d’être fier de ce que l’on apporte et heureux de s’enrichir de ce que l’on reçoit.

Finalement, pour déboucher dans l’action, des engagements individuels à court terme seront pris et accompagnés, stimulés, encouragés, réactivés si nécessaire, non pas seulement par un « coach » mais aussi par l’ensemble des participants du groupe ou du sous-groupe !

Ce mécanisme fonctionne comme un système d’horlogerie ou chaque pièce prise individuellement ne permet pas de lire une partie de l’heure ; il faut toutes les pièces, assemblées correctement si l’on veut en rendre possible la lecture.
Le « système pédagogie éclosive ® » ne permet donc ni l’économie d’une étape, ni la déviance de l’enseignant ou de l’animateur.

Ce « système » produira des effets de deux types :
  • effets sur le relationnel
  • effets sur le savoir-faire et le savoir
(dans l’ordre opposé à celui proposé classiquement).

La figure ci-dessous illustre les espaces proportionnels que prennent progressivement dans le temps (de l’étape 1 à 4 dans l’exemple), les effets respectifs de chacun de ces types.
Les premières étapes des programmes animés en pédagogie éclosive sont très productives en effets relationnels ; elles contribueront à faciliter individuellement l’expression, la participation, l’appropriation, le développement du savoir-être, le sens donné à son apprentissage, le respect de l’éthique...
Ainsi préparées, les étapes suivantes seront fertiles à l’expérimentation et à l’acquisition de connaissances.



Les effets secondaires positifs ne sont pas négligeables : épanouissement et rayonnement personnel en tous milieux, développement de la vie en équipe, contribution à la mission de l’entreprise ou de l’institution...

Malgré les exigences et la difficulté de transmettre l’attitude nondirective, les programmes éclosifs pour adultes sont néanmoins « démultipliables».
C’est - à - dire qu’un participant adulte peut à son tour devenir facilitateur !
Il est nécessaire pour cela, que le participant ait été formé pendant quelques jours à sa nouvelle mission et que le programme qu’il animera, soit « certifié » et accompagné de son « guide pas à pas » d’animation. Ce guide aide notamment les facilitateurs à faire moins usage de leurs compétences au profit de leur fidélité à la méthode. Loin d’être un recueil du « comment réussir son animation », il est vraiment l’accompagnateur « pas à pas » tout au long du parcours du programme.

En guise de conclusion provisoire

Si la pédagogie éclosive ® utilise l’orientation non-directive comme l’une des pièces principales de son système, elle n’est pas que « non-directive » !
Sa spécificité est faite de son mécanisme d’attelage entre l’attitude nondirective du facilitateur et les réalités concrètes du savoir-faire et du savoir pour créer les compétences.

C’est peut-être ce qui fait dire que si la pédagogie éclosive ® est non-directive pour les participants, elle est bien directive à l’égard des facilitateurs, trainers et enseignants. La vie ne nous avait pas habitués à cette perspective ; il suffisait de retourner la pièce, de pile en face.

N’en déplaise aux participants : « non-directivité » n’est pas sur la même voie que le « laisser-faire ».
Ceux-ci également sont appelés à se conformer à quelques règles de conduite générale : préparation personnelle des séances, pas de discussions pour avoir raison… La non-directivité et la pédagogie éclosive ® mettent en place quelques autres règles de jeu.

André COENRAETS

1 Comments:

  • En quoi la pédagogie éclosive se différencie-t-il de l'apprentissage par problème (APP)?

    By Anonymous Anonyme, at 3:58 PM  

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